La réunion clinique ou… un temps d’accompagnement
Préambule : Le texte que je vous propose ici correspond à une perspective théorique de ce que devrait être une réunion clinique, de ce que l’on devrait y trouver dans l’Idéal, celui du plaisir de penser ensemble et d’aller de découvertes en découvertes.
Ni à Frédéric Sévène ni ailleurs, je n’ai rencontré cet Idéal mais sachez, chères lectrices et chers lecteurs que je ne renonce pas, j’y travaille, nous y travaillons chaque semaine…
La Prévention Spécialisée invite ses acteurs de terrain à intervenir dans un vaste champ où se croisent et se recroisent des personnes, des jeunes... « comme ils disent » mais pas seulement.
Des espoirs et désespoirs, désespérances et espérances, des âmes en peine, des histoires de vie, des drames, des envies, des regards en quête d’avenir tandis que d’autres détournent leurs yeux et scrutent leur passé, comme accrochés.
C’est dans ce théâtre de la rue que l’éducateur accomplit sa mission en marchant vers une rencontre hypothétique, improvisée, parfois attendue et peut-être espérée.
Mais dans ce contexte spécifique, l’acte peut aussi être de passage et inquiéter l'ordre public, un acte qui précède une pensée souvent en mal de repère et de cohérence….
Alors, si la Prévention Spécialisée offre un cadre où il fait bon marcher, il apparaît aussi nécessaire de pouvoir penser en équipe ces actes plus ou moins passagers, ces demandes et ces projets en voie de formulation et d’échanger autour de ces thèmes même si des résistances s’installent çà et là dans les récits partagés lors des réunions. L'anonymat, étendard de la Prévention Spécialisée (et des courageux des réseaux sociaux), s'immisce parfois dans ces échanges comme la garantie absolue et protectrice du destin du récit à venir. Il ravit alors la place de ce que je préfère quant à moi nommer l'intimité, une intimité du récit dans le sens où il restera dans les murs de l’institution et où sa confidentialité sera assurée.
En effet, faire de celle ou celui dont on parle un(e) anonyme, peut être une autre souffrance qui ajoute à la fragilité déjà présente de l'estime de soi. A suivre, à élucider, à discuter assurément...
Avant toute chose, il faut observer que l’éducateur spécialisé est un être un peu à part, pour certain marginal. S’il participe à la vie de la Cité, il n’y a pas la part active de celui qui fabrique du « sonnant et trébuchant » et ne participe pas ainsi à grossir le Produit Intérieur Brut du pays. Il est incalculable sans être pour autant imprévisible, sa rentabilité est ailleurs… Sa formation est une mosaïque d’apports théoriques, de stages mais aussi d'intuitions empruntées à la biographie de chacune et chacun, une juxtaposition de données entre le cœur et la raison parfois difficiles à lier entre elles qui complexifie la perception objective du sujet qu'il va rencontrer, ce temps passé avec l'énigme de l'Autre et auprès de qui il se destine à travailler. Et que dire encore de ce même éducateur qui évolue dans un espace qui ne propose comme cadre de travail qu’un extérieur aux contours incertains et qui l’invite à arpenter la rue, la même que chaque habitant emprunte au quotidien dans une perspective de « vivre ensemble », un slogan prometteur mais amputé de l'essentiel qui ne pourra exister que s'il est associé au désir...au désir de vivre ensemble.
L’intervention en Prévention Spécialisée suggère des situations souvent compliquées à penser et à gérer du fait même de « jouer à domicile », de la diversité des lieux, du temps anachronique qui rythme les rencontres confinées dans un temps souvent compressé (le fameux « vite fait ») et parfois de la précocité déroutante observées chez des très jeunes privés de rêverie enfantine et dont les comportements aux allures border-line, pensait-on, étaient plutôt la propriété des adultes.
Les temps changent, le rythme s’accélère, les humeurs aussi…
La complexité de ces rencontres se situe aussi dans le tissage si singulier des « liens de quartier » où l’abondance des interpellations improvisées côtoient l’absence de demandes plus concrètes et réfléchies chez un sujet en mal de mots pour exprimer son ressenti intime qu'il va confier alors à ces « passants de la rue » disons…à sa façon et qu'il faudra décrypter. C'est donc bien à un exercice aux apparences anodines et pourtant peu aisé que se livrent ces professionnels face à la complexe mission de la prévention que l’on pourrait traduire littéralement par : « arriver avant ».
Comment arriver avant que des comportements encore non structurés ne dominent un tableau clinique plus problématique en faisant symptômes et dans le même temps, comment ne pas être pris dans cette relation d'aide qui sollicite fortement les professionnels dans sa dimension contre-transférentielle où les affects convoqués fluctuent sur une large échelle émotionnelle allant d'une omnipotence réparatrice à une impatience agressive au regard des situations vécues à l'instant où chacun tend vers le plus de neutralité possible, autre traduction de l'ambitieuse bonne distance éducative.
C'est précisément au fil de ces inconforts et de ces questionnements dans cet espace-temps soutenu et validé par l’association que la réunion clinique a pris place, une place qu'il me plaît de définir simplement comme : un temps d’accompagnement.
Accompagner une équipe de Prévention Spécialisée, c’est avant tout marcher à ses côtés, être à son écoute, être attentif à ce qui est dit ou tu, c'est ramener à l’intérieur des murs par la confiance instaurée l’extérieur et son cortège d’affects. Ce transfert des contenus de la sphère privée sur la place publique (la réunion) se fait au rythme d'une parole partagée et respectée qui pourrait être entendue comme la symbolisation de ce qui a été agi afin de rendre intelligible, cohérente et légitime la position éducative prise en direct sur le terrain et désormais visible par tous.
C’est à partir de ce constat mais aussi de l’expérience acquise et de la singularité du travail de rue que l’humilité, le doute et la confiance sont devenus nos authentiques référentiels pour mieux saisir cette mission afin d’être au plus près de ce promeneur de la rue. Et c’est donc à cette marche quotidienne dans la Cité que la réflexion clinique a emboîté le pas.
Dans ce temps consacré à l’écoute du travail éducatif inscrit dans la réalité du terrain, on ne peut omettre que c’est aussi le moment de la rencontre avec la part intime du professionnel. Je fais référence ici à celle qui apparaît petit à petit au fil des récits énoncés et vient solliciter des affects refoulés qui pourtant ne demandent qu’à s’exprimer. Ceux-là même auxquels les Pink Floyd faisaient allusion dans leur album : « The dark side of the moon » (la face cachée de la lune) ou que les cinéphiles avertis auraient associé quant à eux au côté obscur de la force dans un désormais célèbre Star Wars !
Comme nous le savons, le travail de rue entraîne l’intervenant loin des limites palpables de son bureau et, dans le même mouvement, au plus près de son histoire intime qui l’accompagne, fait de lui ce qu'il est, une empreinte qui s’inscrit inéluctablement dans les liens établis. Pour illustrer cette dernière remarque, je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous cette pensée à la fois simple et non moins efficace : « quand on s'en va, on s'emmène ! ».
Et c'est bien de cela dont il s'agit...
C'est dans ce contexte si singulier que de telles rencontres lointaines maintenues dans un entre-deux trop privé pourraient très vite prendre les chemins de traverse et faire de cette rencontre le lieu de toutes les tentations et des excès (séduction, pouvoir, agressivité, copinage…) qui prendraient place dans un projet éducatif devenu à cet instant incertain et fragile. N'oublions pas que la relation d'aide est potentiellement maltraitante si elle enferme celle ou celui à qui elle s'adresse dans le désir de l'Autre.
Alors, l'invitation à évoquer ce « voyage en altérité » est suggérée, on parle, on prévient...
Si donner une place à la clinique dans le cadre de la Prévention Spécialisée c'est reconnaître la part de subjectivité de l'ensemble des acteurs impliqués, c’est aussi admettre que les données environnementales, conjoncturelles et sociales ne sont pas les seules sur la sellette pour appréhender certaines trajectoires de vie qui attirent l’attention et peuvent inquiéter. En effet, l’impatience, l'exigence teintée de contenus agressifs ou encore les consommations de psychotropes souvent présentes dans la rencontre ne peuvent être réduites à un simple effet de groupe d’adolescents désœuvrés en mal d’inspiration ou à une conjoncture peu encline à l'épanouissement des plus jeunes mais traduisent, à n’en pas douter, des souffrances originelles plus ou moins refoulées qui s’expriment sous ces formes malhabiles et qui doivent toutefois être prises en compte. A ce sujet, on retiendra que si les travailleurs sociaux sont au contact d'adolescents intranquilles, ils sont aussi de plus en plus exposés à des pathologies psychiatriques, faut-il le rappeler. Un constat évident en forme de travaux pratiques avec ce qu’écrivait G Canguilhem dans son ouvrage : « le normal et le pathologique ».
De plus, ces réunions hebdomadaires consacrées aux jeunes rencontrés au pied des immeubles ou lors de séjours organisés ont pour but de mieux penser les suivis récents ou en cours, elles envisagent aussi les éventuelles orientations vers les partenaires du champ sanitaire et/ou social avec qui, la prise en charge se poursuivra, s’il y a lieu. Comme nous le voyons ici, il s’agit donc d'interroger sa pratique dans sa globalité en appréhendant le sujet dans les excès de son « ici et maintenant » sans pour autant négliger son histoire de vie dans le souci de maintenir un suivi à l'endroit où beaucoup d'autres intervenants ont tourné les talons.
En d’autres termes : Être là.
L’ajout du regard de la clinique permet ainsi de prendre en compte des problématiques variées touchant notamment à la recherche d’une identité fragilisée par des assises narcissiques douloureuses, un cadre familial instable ou par un environnement social mal compris vécu souvent sur un mode persécuteur par le sujet lui-même où le sentiment voire la certitude de ne pas y avoir de place domine.
Le contenu des réunions ou des « variations sur le même thème ».
L’accompagnement tel qu’il est proposé consiste en premier lieu à réfléchir, à clarifier et à mieux comprendre des situations toutes différentes à partir d’éléments bio-psycho-sociaux les plus précis possibles. L’approche clinique, qui sollicite fortement les sens de l’observateur, permet d’ajouter une dimension au travail de rue en faisant une sorte d’inventaire du réel et, par cet acte intelligent et attentionné, de prendre en compte à la fois des données objectives recueillies mais aussi la partie cachée de l'iceberg c'est à dire, la subjectivité des personnes en présence toujours dans le souci avoué de donner un sens au suivi proposé.
Travailler sur les capacités d’observation telles qu'elles sont envisagées dans cette instance consiste ici à rendre l’« objet » visible c’est à dire le mettre à distance de soi en évitant le flou relationnel sans toutefois le perdre de vue. La parole partagée permet alors de s’ajuster symboliquement dans ces situations complexes qui n’apparaissaient pas comme telles de prime abord tout en préservant la sphère privée du professionnel. Un savant équilibre à trouver, une sorte de parole sur le fil...Le récit rapporté à distance des affects devient ainsi plus intelligible, son contenu s’organise au rythme de l’énoncé du narrateur et peut prendre parfois un sens tout autre que celui entendu dans le “feu de l’action”, un mouvement en forme de « pas de côté » que nécessitent ces rencontres et ce temps passé avec l'inconnu.
Ce travail de réflexion autour des récits entendus et pensés prend également appui sur différents concepts théorico-cliniques (sans visée diagnostic) qui peuvent parfois aider à reconsidérer une orientation à la prise en charge engagée à partir de moyens nouveaux tels que le relais par un collègue, l'orientation vers un partenaire, l’instauration nécessaire d’un temps de latence dans les liens établis, etc...etc... C’est dans ce mouvement que des éléments de dégagement peuvent alors émerger au moment où un désir de soins exacerbé pourrait prendre le pas sur une attitude éducative rationnelle. Une invitation ici à aborder la question de la préconisée « bonne distance » célébrée comme il se doit dans tous les bons manuels et dans toutes les « bonnes » formations. IRTS,... si tu m'entends !
Ce temps d’accompagnement peut également être perçu comme un lieu de découverte et d’apprentissage car il offre, par son interactivité et sa diversité, la possibilité d’acquérir de nouvelles connaissances dans différents domaines et renforcer ses capacités individuelles en ayant une meilleure lecture de sa mission par une stimulation intellectuelle et culturelle des savoirs de chacun des membres de l'équipe. Et sans oublier qu'il faut, le cas échéant, narcissiser, rassurer, encourager parfois cette équipe car, il faut bien l'avouer, la rue ne fait pas toujours de cadeaux.
Il va de soi qu’un tel travail ne peut se faire que dans un espace-temps dédié à cette approche, un lieu d’écoute paisible où la pratique qui est au cœur des débats fait l’objet d’échanges dans un temps long sans jugement des postures éducatives prises qui contrastent avec les demandes expresses dans un “ici et maintenant” où s’expriment souvent l’arrogance, l’exigence et l'ambivalence des sentiments de certains jeunes en proie au doute dont le salut semble être le recours à des réactions de prestances pas toujours adaptées dans un espace public délimité, bien connu d’eux et donc rassurant.
Afin d’être un peu plus concret, voici quelques exemples de thèmes qui peuvent être traités en réunion :
L’accueil et le suivi individuel ou en groupe des jeunes avec ou sans demandes précises formulées,
thèmes incontournables vous vous en doutez mais, pas que…
Le travail auprès des familles, essentiel, qui ne peut être le résultat d’une initiative personnelle, isolée voire intuitive. Un accent est d’ailleurs mis, lors de présentation de tels cas, sur l’extrême prudence qu'une telle démarche requiert. En effet, il est bon d’évaluer ensemble le bien-fondé de ces interventions si particulières où se côtoient dans le même mouvement la parentalité d’un côté et l’adolescence qui flambe de l’autre. Rencontrer une famille n’est pas un acte neutre. Il peut être porteur et être une valeur ajoutée au suivi mais il peut aussi être interprété comme une trahison par le jeune en conflit avec sa famille qui peut se sentir menacé ou encore comme une ingérence dans son espace intime lors d’une visite à domicile et entraîner une rupture des liens à l’endroit même où l’on voulait les intensifier.
L’urgence, notion associée aux nombreuses demandes et aux besoins à satisfaire de suite qui se manifestent dans le temps de l'Autre. C’est une position potentiellement inconfortable pouvant faire naître un sentiment d’impuissance voire de castration chez l’intervenant qui peut se sentir à cet instant-là instrumentalisé et démuni. Le travail clinique consiste ici à proposer une lecture autre que celle faite classiquement à savoir une défiance ou une volonté délibérée de nuire à l’éducateur désireux pourtant d'aider (premier ressenti désagréable qui s’impose) en faisant ce fameux pas de côté cité plus avant dans ce propos. Ainsi, cette même scène peut alors être interprétée comme un mécanisme de défense face au fantasme de soumission ou de passivité que peut contenir cet « aller-vers » trop intrusif où la relation privilégiée à l’adulte peut susciter de la méfiance, de la peur voire du rejet. Ainsi entendu, ce ressenti négatif du professionnel peut être géré autrement en donnant du sens aux affects convoqués par l'intimité de cet entre-deux sans créer de rupture au suivi voire en l'enrichissant de nouvelles données.
Le sentiment d’insécurité parfois présent sur le terrain en fonction de l'actualité du quartier peut inquiéter et fragiliser celle ou celui qui le vit. Ainsi, lorsqu’il est parlé paisiblement et identifié, ce sentiment à priori négatif peut devenir un authentique cadre au travail éducatif. Une limite sécure, un contenant psychique face aux excès de confiance potentiels qu'autorisent ce travail de rue.
Les séjours en groupe à venir ou réalisés font eux aussi l’objet d’études et de nombreuses discussions. Cette thématique a permis notamment de distinguer la dimension éducative de l’animation qui ont des ressemblances notables mais aussi d'importantes différences. Il est à noter d'ailleurs que cette confusion est souvent observée voire entretenue par les partenaires qui verraient bien en l'éducateur des qualités d’animation qui ne seraient pas pour leur déplaire !
Je voudrais ajouter que la diversité des thèmes abordés et leur complexité est aussi une façon originale voire quelque peu décalée de parler des termes du mandat de l’intervenant dans le sens où, ne l’oublions pas, ce sont bien des termes précis inhérents à la Protection de l' Enfance qui font office de cadre à la mission de chacune et chacun comme un contenant légal face à ce vaste champ d'intervention. S’interroger sur tous ces possibles, renforcer ses capacités intellectuelles, harmoniser un travail d’équipe en faisant de la singularité de chacun une richesse d’écoute et de partage, sont autant d’éléments qui améliorent l’accueil et le suivi des personnes rencontrées avec l’idée qu’il devient possible pour un instant “d’habiter” avec satisfaction son identité professionnelle sans craindre pour autant de rendre des comptes d’un travail accompli pourtant loin des regards indiscrets. C’est un cheminement qui se fait en mobilisant le potentiel des personnes présentes et en s’appuyant sur les regards croisés du groupe à partir d’une parole qui s’inscrit ici comme une règle incontournable dont chacun devient garant.
Statut et place du psychologue
Le statut du psychologue en tant que salarié de l’institution n’apparaît pas contradictoire à une telle pratique dans la mesure où le cadre de cette réunion hebdomadaire (la fiche de poste) est consacré exclusivement à l’étude clinique de suivis engagés pas plus d’ailleurs qu’il n’est une instance de prises de décisions institutionnelles. Ici, on n'analyse pas les affects, on les nomme. L'intimité inhérente à la relation éducative est présente, pas l'intime de même que la confidentialité des échanges est une règle reconnue. Le psychologue fait donc partie intégrante de l’équipe et même si son champ d’intervention est différent, il se situe à côté de l’éducateur… jamais au-dessus !
Il est également important de préciser que ce lieu n’a pas pour fonction d’être un exutoire aux manques et aux frustrations éventuelles des unes et des autres pas plus qu’il ne répond à une commande dissimulée de la direction en vue d’apaiser des esprits rebelles ou encore de canaliser l’agressivité supposée d’une équipe en colère. On ne se débarrasse pas de la parole, on ne la jette pas, on l’écoute, on la réceptionne et surtout, on la respecte.
Ce bref chapitre rappelle, si besoin était, que chacun dans une institution a un mandat inscrit dans une loi écrite, un référentiel qu’il est impératif de connaître, d'appliquer au plus près et de respecter afin de rendre possible et cohérente toute démarche entreprise qu’il s’agisse de l’équipe éducative, du personnel administratif, technique ou de direction. Le psychologue n’échappe pas à la règle, il a lui aussi son mandat et il doit le respecter !
Conclusion
Avant toute chose, je voulais souligner que cette volonté institutionnelle affichée de donner à la clinique une telle place est à la fois bienveillante et adaptée.
Pourquoi ?... Non seulement parce qu'elle prend en compte la part subjective de chacune et chacun mais aussi parce que cette même clinique répond à une préoccupation que les pouvoirs publics et les « anges bibliques de la recommandation » nomment la bonne conduite associée à son inséparable acolyte les bonnes pratiques aux accents infantilisants qui invitent à positionner les personnes suivies au cœur du dispositif et pour lesquelles les objectifs sont évalués et réajustés si nécessaire en vue de son mieux-être. C’est ce que nous faisons avec le contenu de cette réunion en satisfaisant à notre façon au cahier des charges et en participant d'une certaine façon à la rédaction du Compte Rendu de Mission par cette collecte visible et non anonyme des interventions réalisées.
Une volonté qui invite à tendre vers toujours plus d'attention à l'adresse du public rencontré qui est également vu dans sa subjectivité, c’est à dire au-delà des seuls comportements qu'il donne à voir. Une façon de prendre soin qui repose autant sur l'engagement éducatif visible sur le terrain que sur un engagement plus personnel entendu lors des réunions où la parole est reconnue par l'ensemble des acteurs de l'institution, qu'elle a une valeur certaine et qu'elle peut se déployer dans un espace de liberté démocratique appréciable.
Comme vous l'avez bien compris maintenant, il s’agit en premier lieu d'entendre cette intranquillité propre à ce temps de la vie qu'est l'adolescence en prenant soin de ces jeunes pour qui il n’est pas toujours évident de vivre, et dans le même temps de prendre soin de ces récits rapportés en vue de faire vivre, de la façon la plus opérante possible, le projet éducatif en cours.
L’esprit critique, les contradictions, les agacements parfois les silences qui font vivre ces réunions sont les bienvenus dans ce temps qui préserve la vie privée des intervenants et ne répond pas nécessairement aux sirènes de la consensualité. Fi de l’indifférence et des certitudes et bienvenue aux doutes qui sont notre substantifique moelle, notre véritable liant. Ici, être bon ou mauvais n’est pas d’actualité. Aucun smiley content ou pas content ne vient ponctuer une présentation de cas ou pire encore la mesurer car la question est d’Etre au plus près de cet Autre en difficulté en tenant compte de ce qu'il est et non pas de ce que l’on voudrait qu’il soit.
L’observation clinique interroge la fonction contenante de celui qui accueille et ainsi, par une relecture distanciée des vécus, l’éducateur apparaît plus enclin à mieux entendre les répétitions du passé présentent dans ces suivis qui font souffrir en proposant un accompagnement éthique et bienveillant. Une réponse à la confusion possible des sentiments devant l'énigme que représente cet Autre. Ainsi, elle aide à réfléchir ensemble et autrement en restant au plus près de ceux dont la difficulté de verbalisation est justement un point douloureux de leur existence. Car lorsque l’on travaille avec des personnes dont le langage plus corporel que symbolique rend étrangères à soi les émotions ressenties et valorisent l'acte, il apparaît nécessaire voire indispensable de les parler et de les penser afin de ne pas être nous aussi dans le passage à l’acte…éducatif !
Si ces déambulations quotidiennes conduisent à rencontrer ces corps oubliés au pied des immeubles, il s’agit aussi de les voir sans les juger mais en les surprenant par notre capacité à créer des liens de confiance et à accueillir ces manques non identifiés qu'ils tentent souvent de dissimuler par des réactions de prestances voire d'hasardeuses apparences. Alors, modestement et humblement, la mission des professionnels de Prévention Spécialisée pourrait être envisagée comme une sollicitation à entendre sa vie autrement et contribuer à des changements à partir des potentialités observées et valorisées en étant là, à ses côtés, en l'aidant par une réappropriation de sa parole et de ses actes. Lui permettre enfin d’aller vers un ailleurs créateur d’avenir, de projets et de nouveaux plaisirs.
Car, selon moi, « être là » est le véritable « aller vers ». Plus immobile, plus sobre, plus vrai et surtout moins intrusif. Une posture somme toute un peu désuète dans une société dite moderne qui s'assimile au mouvement permanent comme pour se rassurer face à la crainte de l'effondrement. Alors on bouge, on va, on s'agite.
Mais ça, c'est un autre sujet que je confie à vos pensées aiguisées...
Sollicitude, bienveillance, empathie, compassion, éthique...rien n'est inné, tout peut être acquis. Un possible non menaçant que l'institution autorise et favorise en permettant à ce temps d'exister.
Je terminerai ce bref écrit avec R. Barthes qui disait ceci : « Institutionnaliser quelque chose, c'est structurer un espace pour permettre à la temporalité de se déployer ».
Enfin du temps long où l’on pourra envisager sereinement ce fameux « y a plus cas…clinique »…
Olivier Wagner, Psychologue Clinicien, Psychothérapeute.
Association Frédéric Sévène.
Mai 2022